Sylvia PINEL, Députée PRG de Tarn-et-Garonne, est intervenue aujourd'hui
dans la discussion générale sur le projet de loi constitutionnelle de
"Modernisation
des Institutions de la Ve République" (deuxième lecture). Voici le texte de
son intervention à la tribune de l'Assemblée nationale au nom des Députés
Radicaux de Gauche : Monsieur le Président,
Monsieur le Premier ministre,
Madame le Garde des Sceaux,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
L'Histoire constitutionnelle de notre pays s'accélère. Qu'on le veuille ou
non, déjà forte d'une grande diversité de régimes politiques, elle se
dirige, plus vite que jamais, vers la VIe République…
Oui, mes chers collègues, force est de constater que la Ve République est à
bout de souffle ! Les gardiens du temple sont de moins en moins nombreux,
les fondations sont atteintes, le socle vacille et le mythe s'effondre.
C'est bien à sa fin programmée que nous assistons désormais!
Et ce projet de loi constitutionnelle n'est probablement que la dernière
tentative pour sauver ce qui peut l'être, et *conserver* une République qui
n'aura dès lors de « 5e » que le chiffre ! De ce point de vue, cette réforme
exprime d'abord et avant tout un *conservatisme* puisqu'il s'agit bien de
tenter de CONSERVER une Ve République usée, fatiguée et profondément
dénaturée…, après 22 révisions…, et une pratique institutionnelle toujours
plus éloignée de la volonté du *pouvoir constituant originaire*, à commencer
par celle de Michel Debré et du Général de Gaulle.
D'ailleurs, n'est-ce pas De Gaulle lui-même qui aimait à répéter qu'*« une
Constitution, c'est un esprit, des institutions, une pratique » *? Et bien
mes chers collègues, il faut bien admettre que l'esprit comme la pratique de
1958 n'ont plus rien à voir avec l'esprit et la pratique d'aujourd'hui, et
plus encore (et souhaitons-le !) de demain.
Aussi, dans l'esprit comme dans la pratique, je crois que nous pouvons
d'ores et déjà conclure que la Ve République est en train de se faire
rattraper par notre longue histoire constitutionnelle. Elle déjà appartient
au passé.
Le temps est donc venu de sortir de la crise de régime dans laquelle nous
nous trouvons et de mettre ENFIN en phase l'esprit et la pratique de nos
Institutions avec les attentes démocratiques d'aujourd'hui. Cinquante après
1958, il n'est plus possible de se contenter, une nouvelle fois, de *changer
la République*, il nous faut *changer DE République* ! La vraie rupture, mes
chers collègues, aurait été celle-là !
Rappelons-nous l'article 28 de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen, préambule à la Constitution du 21 juin 1793. Que dit cet
article ? : *« un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de
changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les
générations suivantes »*. Mes chers collègues, j'appartiens à une génération
qui refuse l'héritage de 1958 et le culte aveugle de la Ve République,
j'appartiens à une génération qui entend adapter les Institutions aux
exigences démocratiques et citoyennes de son époque.
Aussi, ce n'est pas à une quelconque « modernisation » des Institutions de
la Ve République que nous devrions nous atteler, mais plutôt à la création
des Institutions de la VIe République.
Le Président de la République et son Gouvernement ont fait un autre choix :
vous l'avez compris, ce n'est pas celui qu'auraient souhaité les Radicaux de
Gauche.
Mes collègues Gérard CHARASSE et Jean-Michel BAYLET l'ont rappelé en
première lecture, successivement, et respectivement ici-même et à la tribune
du Sénat : le plus vieux parti de France pour une VIe République
présidentielle.
La principale caractéristique d'un régime présidentiel n'est pas, comme
beaucoup le croient, la suprématie ou la domination du Président mais la
stricte séparation de l'exécutif et du législatif, laquelle séparation
constitue LA garantie d'un Parlement fort.
Peut-on alors revaloriser le Parlement, rééquilibrer les pouvoirs et
démocratiser le régime, le tout sans changer de République mais en
poursuivant une logique d'ajustements et de réglages ?
Encore une fois, la réforme proposée n'est pas celle qu'auraient souhaité
les Radicaux de gauche. Toutefois, toute amélioration du régime existant
constitue bien évidemment un progrès tant il est à bout de souffle et en
bout de course. Et il faut bien reconnaître que de nombreuses dispositions
contenues dans ce projet de loi, après un premier passage dans les deux
assemblées parlementaires, contribuent à améliorer le système actuel. Le
nier serait faire preuve d'irresponsabilité politique et d'un manque certain
de discernement et d'ambition.
Il est toujours dangereux sur un texte qui engage l'avenir de nos
Institutions d'opter pour une grille de lecture qui soit uniquement
partisane, inspirée de la seule actualité et s'inscrivant dans le court
terme. Je m'adresse ici aussi bien à mes partenaires de l'opposition et à
mes collègues du groupe SRC qu'à la majorité dans son ensemble.
Il faut savoir se projeter dans l'avenir, imaginer l'opposition
d'aujourd'hui devenir majoritaire et inversement. Il faut oublier les
questions de personnes et surtout ne pas personnaliser les institutions. Il
faut dépasser les clivages politiques du moment. Bref, il faut prendre de la
hauteur et se livrer à un exercice de conceptualisation pas toujours facile,
j'en conviens, surtout par les temps qui courent. Mais quand il s'agit de la
Constitution l'exercice est indispensable.
C'est ainsi que les Radicaux de gauche considèrent comme une avancée toutes
les mesures qui permettent d'améliorer l'expression du pluralisme politique
et confèrent de nouveaux droits aux minorités politiques et parlementaires.
Une démocratie moderne ne peut se contenter d'une bipolarisation
gauche/droite trop affirmée et organisée exclusivement autour de deux grands
partis politiques. Les Français ne se retrouvent pas dans le dualisme
simplificateur gauche/droite, *a fortiori* lorsqu'il se combine au très
réducteur clivage entre deux grands partis politiques, lesquels ne sauraient
incarner SEULS la majorité pour l'un et l'opposition pour l'autre.
De la même façon, la vie parlementaire doit pouvoir s'organiser autour de
plusieurs groupes politiques de la majorité et de l'opposition, ce qui
implique des groupes minoritaires de la majorité et des groupes minoritaires
de l'opposition, mais également, le cas échéant, des groupes qui
n'appartiennent ni à l'une ni à l'autre.
Plus il y aura de groupes et mieux se portera notre démocratie parlementaire
car elle n'en sera que plus représentative et donc plus légitime. Et chacun
d'entre eux doit pouvoir disposer de « droits spécifiques ». Ce fut l'objet
d'un amendement des parlementaires Radicaux de gauche en première lecture et
que le Sénat a adopté. Nous veillerons à ce qu'il soit conservé en deuxième
lecture par notre assemblée. Il permettra à n'en pas douter un progrès de
notre démocratie parlementaire. Un petit progrès certes, mais un progrès
tout de même…, qui, s'il venait à se combiner avec l'introduction d'une dose
de proportionnelle pour les élections législatives, comme nous le proposons
à nouveau, changerait alors la physionomie de notre assemblée et l'exercice
du travail parlementaire.
Cela permettrait alors d'atténuer les effets désastreux engendrés par le
quinquennat ET la simultanéité des élections présidentielle et législatives,
qui les deux associés laminent les « petits » partis, du moins tous ceux qui
n'ont pas l'espoir de placer un représentant au second tour de l'élection
présidentielle, appauvrissant ainsi le pluralisme politique et les
possibilités de contre-pouvoir face à la domination présidentielle.
A partir du moment où le texte constitutionnel proposé par le Gouvernement
ne permet pas de changer de République et de passer à la VIe, les Radicaux
de gauche sont dans un état d'esprit responsable et pragmatique visant à
améliorer au maximum la situation existante qui ne satisfait plus personne
(ou presque) et donc de pousser au maximum la logique réelle, mais parfois
trop timide, de revalorisation du Parlement.
C'est ainsi que nous proposons également un encadrement plus strict du 49-3
en limitant son usage par le Gouvernement aux seuls projets de loi de
finances et projets de loi de financement de la sécurité sociale ;
Ou encore que nous avons déposé un amendement qui propose de faire référence
dans la Constitution à la possibilité pour le Parlement de créer des
commissions d'enquête dans le cadre de ses missions de contrôle et
d'évaluation de l'action du Gouvernement, tout en renvoyant aux règlements
des assemblées parlementaires le soin d'inclure leurs créations dans les
droits spécifiques de tous les groupes parlementaires. Ici aussi l'avancée
serait indéniable pour l'exercice de notre démocratie et permettrait un bien
meilleur contrôle de l'exécutif.
Cette deuxième lecture peut encore être l'occasion de nombreuses
améliorations à cette réforme, qui si elle n'est pas une « rupture », peut
permettre une remise en cause du régime…, MAIS à condition de poursuivre le
travail d'amendement entamé à l'Assemblée et poursuivi au Sénat sans pour
autant revenir sur certaines dispositions.
C'est pourquoi, les Députés Radicaux de gauche proposeront également de
mieux encadrer le pouvoir de nomination du Président de la République, de
donner au moins deux présidences de commissions permanentes de chaque
assemblée à d'autres groupes que le groupe majoritaire, de supprimer
l'instauration de « députés des Français de l'étranger » qui n'a aucun sens,
tout comme l'inscription dans la Constitution des nombres maximums de
députés et de sénateurs.
Nous veillerons également à voir maintenir dans la rédaction finale
l'instauration de la parité professionnelle et sociale entre les hommes et
les femmes.
Autre disposition que nous souhaiterions voir rester, celle que nous avions
proposée ici et qui a été acceptée au Sénat : la limitation des membres du
Conseil constitutionnel aux 9 membres nommés : rien ne nous semble justifier
la présence à vie des anciens présidents de la République au sein d'une
Institution aussi puissante. D'ailleurs, à propos du Conseil constitutionnel
il faudra bien un jour revoir son fonctionnement et l'usage de certaines de
ses prérogatives.
Encore un point sur lequel nous souhaiterions le statu quo : la question de
l'adhésion d'un nouveau membre à l'Union européenne. Les Radicaux de gauche
ne pourront pas accepter une mesure discriminatoire à l'égard de la Turquie,
grand pays laïc qui aura toute sa place dans l'Union européenne aussitôt
qu'il répondra à tous les critères de Copenhague.
Enfin, nous défendrons à nouveau un amendement qui a pour objectif de
rappeler que le principe de laïcité qui fonde notre République n'a qu'une
seule définition : celle contenue dans la loi de 1905. Il n'y a ni laïcité
positive ni laïcité négative ! Et les Radicaux de gauche s'opposeront dans
l'avenir à toute tentative de modifier la composition du Conseil économique
et social pour y introduire des représentants des cultes et des courants
spirituels.
Mes chers collègues, pour les Radicaux de Gauche, la Ve République fait déjà
figure d'« *Ancien régime »*. Toutefois, s'il venait à être adopté, ce
projet de loi constitutionnelle, avec toutes ses avancées indéniables mais
également avec toutes ses imperfections et insuffisances, modifiera en
profondeur la Constitution de 1958. Ce nouveau texte qui en résultera fera
alors office de transition constitutionnelle… car les jours de la
VeRépublique sont comptés : la VI
e est en marche. Elle est inévitable. Et c'est pourquoi, elle sera la
priorité de l'actuelle opposition dès qu'elle redeviendra majoritaire, et
les Radicaux de gauche, en tant que composante de cette nouvelle majorité,
prendront alors toute leur part à sa construction.
En attendant donc la VIe République, les Radicaux de gauche devront se
prononcer très bientôt sur ce texte de transition à l'issue de sa deuxième
lecture, puis à nouveau devant le Congrès.
Nous n'écartons à ce jour aucune option… , et de la rédaction finale issue
de nos travaux, et du sort de certains de nos amendements, dépendra le vote
des Radicaux de gauche.